Que faire d’un score CHA2DS2-VASc de 1 ?

La fibrillation auriculaire est une maladie compliquée, et souvent bien accablante, autant pour les patients que pour les médecins. Une des premières questions à se poser est celle de la nécessité d’un traitement anticoagulant prophylactique pour prévenir le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC). Qui est concerné par ce traitement ? Quel anticoagulant choisir ? Qu’en faire en cas d’opération chirurgicale, ou avant et après une ablation ou un choc électrique ? Comment surveiller le traitement anticoagulant ? Comment l’adapter à des patients souffrant de maladies rénales ou hépatiques ? Faut-il utiliser une anticoagulation chez des patients à haut risque hémorragique ? La question de l’anticoagulation dans la fibrillation auriculaire est déjà à elle seule bien compliquée ! Trop compliquée pour un court article de blog. Pour restreindre le sujet, nous nous limiterons à la question de l’utilisation de scores de risque dans la prise d’une décision de thérapie anticoagulante.

chadsvasc

Les scores de risque de fibrillation auriculaire servent à évaluer le risque d’AVC dans une population de patients en fibrillation auriculaire « sans maladie valvulaire associée ». Mettons ce terme entre guillemets car il n’est pas très approprié dans cette situation. En effet, il est évident que ces scores de risque ne s’appliquent pas à des patients portant des prothèses de valves cardiaques, ou atteints de rétrécissements mitraux d’origine rhumatismale, mais mis à part cela, ces scores peuvent en pratique être utilisés chez des patients atteints de maladies valvulaires légères à modérées, non-rhumatismales. Le score CHADS2 est très simple d’utilisation, bien qu’il soit devenu désuet depuis quelques années. En effet, il ne permet qu’une évaluation grossière, et des patients obtenant des scores bas peuvent toujours être à risque important d’AVC. Il a été ainsi remplacé par le score CHA2DS2-VASc dans les recommandations les plus récentes. Cette version inclut plus de critères, et désormais obtenir un score de 0 permettant d’échapper à l’anticoagulation est beaucoup plus difficile. En utilisant ce score, les recommandations de prise en charge de la fibrillation auriculaire de la Société Européenne de Cardiologie (SEC) 2012, de l’Association Américaine du Cœur (AAC)/ du Collège Américain de Cardiologie (CAC)/ de la Société du Rythme Cardiaque (SRC) 2014 s’accordent pour ne pas recommander le traitement anticoagulant si le score est nul, mais un traitement complet si le score est supérieur ou égal à 2. Mais si le score CHA2DS2-VASc est de 1, nous nous heurtons, sinon à des désaccords, du moins à des hésitations de la part de ces sociétés savantes. Les versions antérieures de ces recommandations penchaient fortement vers l’anticoagulation pour un score CHA2DS2-VASc de 1. Mais les plus récentes sont moins claires. Se pencher sur cette question est particulièrement important lorsqu’on se rend compte que le seul fait d’être une femme est compté comme un facteur de risque de valeur 1 dans le score CHA2DS2-VASc. Eh oui, la moitié de la planète est née avec une score CHA2DS2-VASc de 1 et selon les vieilles recommandations, se verrait attribuer une anticoagulation du seul fait de leur sexe.

Une étude menée en Suède et publiée en 2012 éclaire un peu le sujet. Cette étude a conclu que le sexe féminin était en effet un facteur de risque d’AVC dans la fibrillation auriculaire mais uniquement si d’autres facteurs de risque étaient présents. Chez des femmes de moins de 65 ans sans aucun autre facteur de risque, le sexe féminin à lui seul n’augmente pas significativement le risque d’AVC. Il en découle qu’un score CHA2DS2-VASc de 1 uniquement dû au fait d’être une femme ne requière pas d’anticoagulation.

Les résultats de cette étude ont été directement intégrés aux recommandations de la Société Européenne de Cardiologie (SEC) 2012 (notons que le Dr. Gregory Lip est co-auteur à la fois de ces recommandations et de l’étude suédoise). Ainsi, la SEC recommande une thérapie anticoagulante complète (aspirine et aspirine+clopidogrel sont relégués à la thérapie de deuxième intention) pour un score CHA2DS2-VASc supérieur ou égal à 1, sauf pour les femmes de moins de 65 ans n’ayant aucun autre facteur de risque.

Les recommandations en termes de fibrillation auriculaire de l’AAC, du CAC, et de la SRC 2014 sont moins claires au sujet du score CHA2DS2-VASc de 1. Les recommandations en cardiologie sont toujours présentées grâce à une quantification qui prête souvent à confusion, avec les recommandations de classe I (est recommandé), II a (doit être envisagé), II b (peut être envisagé), ou III (n’est pas recommandé). Il existe également trois niveaux de certitude : A (données issues de multiples essais contrôlés randomisés), B (données issues d’un seul essai contrôlé randomisé), ou C (l’avis d’un « expert » dans le domaine). Sachant cela, il semble étonnant que prescrire une anticoagulation pour un score CHA2DS2-VASc supérieur ou égal à 2 est une recommandation de classe I et de niveau de preuve A, alors que ne pas prescrire d’anticoagulation pour un score de 0 est une recommandation de type II a et de niveau de preuve B.

Concernant le score CHA2DS2-VASc de 1, la confusion est cette fois totale pour cette recommandation de classe II b :

Pour les patients ayant une fibrillation auriculaire non-valvulaire et un score CHA2DS2-VASc de 1, aucun traitement anti-thrombotique ou contenant de l’aspirine ou un anticoagulant oral ne doit être envisagé. (Niveau de Preuve : C)

Concernant la possible exclusion des femmes obtenant un score CHA2DS2-VASc de 1, la recommandation prête cette fois encore à confusion :

« Dans une étude menée chez des patients suédois atteints d’une fibrillation auriculaire non valvulaire, les femmes avaient cette fois encore une augmentation modérée du risque d’AVC par rapport aux hommes ; cependant, les femmes de moins de 65 ans sans autres facteurs de risque de fibrillation auriculaire avaient un faible risque d’AVC, et il a été ainsi conclu que le traitement anticoagulant n’était pas recommandé dans cette situation. Toutefois, la surveillance du risque thrombo-embolique lié à la fibrillation auriculaire est nécessaire. »

Cela représente un problème pour les médecins, les patients (particulièrement les femmes), mais également pour les médecins-informaticiens qui programment des applications telles que EP Mobile qui calculent des scores de risque et essayent d’en déduire des recommandations. Jusqu’à présent, EP Mobile utilisait simplement les vieilles recommandations, tout comme la plupart des programmes en ligne de ce type que j’ai étudié (par exemple ici ou la). Un utilisateur d’EP Mobile m’a un jour fait remarquer que les recommandations étaient dépassées. Essayer d’intégrer des débats d’une telle complexité dans une petite boîte de dialogue sur un écran de smartphone semble bien ambitieux. Néanmoins, je vais mettre à jour l’application de façon à ce que ses recommandations en termes d’anticoagulation soient plus proches des données actuelles – au moins jusqu’à temps qu’une nouvelle version des recommandations ne soit publiée.

Lien vers l’article original : http://www.epstudiossoftware.com/?p=1884

Le Dr. David Mann est un cardiologue électrophysiologiste retraité. Lien vers son propre blog : EP Studios.